Chercher

J’ai cherché du boulot, me suis soumis à des entretiens d’embauche avec des pros des relations humaines –tu parles!– qui semblaient n’être là que pour chercher la petite bête et pour me rappeler, comme à chaque fois, qu’ils me rappelleraient. Connaissant leurs méthodes inquisitrices j’avais pris soin de prendre la porte de sortie pour être certain de la retrouver.
J’ai jeté l’ancre dans un bistro que ma tête chercheuse n’a pas eu à chercher.
Je venais y chercher un peu d’humanité mais un abruti m’a cherché des noises.
Chercher querelle n’étant vraiment pas mon truc, j’ai préféré emprunter cette autre porte de sortie pour ne pas avoir à chercher du secours. Trop lourde pour que je la trimbale jusque chez moi où je n’aurai besoin que de celle de mon entrée, je l’ai rendue. Dans la rue j’ai buté sur une bouée de secours que j’ai ignorée. Rendre un service pour un service, merci bien!
J’ai cherché mes clés dans mes poches. Elles y étaient mais, alcool aidant,  je ne me rappelais plus où j’habitais. J’ai cherché mes papiers d’identité sachant que j’y trouverais mon adresse.
Je me suis rappelé les avoir sortis à l’occasion de mon dernier entretien d’embauche aux Armées. Le planton de garde, obéissant aux ordres relatifs à sa fonction, les avait gardés en consigne dans le coffre prévu à cet effet.
20 heures. Ce sera sans doute fermé et je ne veux pas chercher d’ennuis. Avec les troubles qui ont éclaté, le gouvernement a décrété le couvre feu pour les mineurs, et n’ayant pour toute lampe de poche que ma lampe frontale à acétylène, qui va bien finir par embraser mon pantalon, les brigades auraient vite fait de me repérer.
Que faire? Je ne sais.

Rue du Cherche midi. Je ne rêve pas. Mes pas m’y ont bel et bien conduit.
J’ai donc marché la nuit entière plus un bon bout de la matinée sans m’en rendre compte. Le temps est bizarre. Est-ce parce qu’il fait froid que les heures ont raccourci?
Soudain sans crier gare, Lazare (c’est mon saint-patron) m’adresse un message. «Mirage à quatorze heures!» Le temps de remettre mon stylet et ma plaquette d’argile dans ma poche brûlante, me voilà obligé de me plaquer au sol pour éviter la mitraille. Le couvre-feu, c’est du sérieux.
Depuis quelques temps je note par écrit et point par point ce que mes voix me disent. Comme ça j’ai des preuves.
Je me relève, m’époussette  et qui vois-je venant vers moi? Grégoire, un très vieil abbé que je ne rencontre que dans ce coin de Paris. «Mon fils» me dit-il, «Ce n’est qu’un mirage. Cesse donc de chercher midi à quatorze heures et de te noyer dans un verre d’eau. Et qui que tu sois cesse aussi sans souci, de chercher refuge, car Dieu, dans son infinie bonté, te donnera asile». J’apprécie son allitération et l’en remercie. «De rien, mon fils» me dit-il en tournant les talons.
Je n’ai jamais cherché midi à quatorze heures mais me suis plusieurs fois noyé dans un verre d’eau. Direction la rue du Bac où j’en chercherai un pour traverser la Seine.
Voilà qui est fait.
Mon dernier sou donné au nautonier, direction la Bourse pour me refaire.
Elle est close, je suis refait.
Depuis la traversée, un chien noir aux yeux vitrés de jade me suit, s’approche, me renifle.  Caron, il s’appelle. C’est du moins ce qui est gravé sur son collier d’airain. À moins que ce ne soit du bronze.
Il m’avait semblé avoir tout un tas de monnaie. Elle a dû tomber de ce qui reste de ma poche qu’une éclaboussure de rame a heureusement préservée d’une destruction totale. Ma lampe à acétylène a balbutié puis a cessé d’éclairer. Il fait grand jour depuis longtemps, j’aurais pu penser à l’éteindre.

Le chien maintenant me précède. Avec insistance. Comment le semer puisque je suis derrière lui? Ai-je d’autre choix que le suivre? Sans doute, mais s’il était un signe du destin?
Il passe par des rues pouilleuses. Deux clochards, femme et homme, se cherchent des poux. À chacun sa quête de trésor, quel qu’il soit  lorsqu’on est dépouillé de tout.

Porte de Saint-Ouen. Les Puces!
Voilà donc où le clébard veut en venir.
Mais non; le voilà qui s’ébroue, renifle truffe en l’air, prend à droite sur l’hôpital Bichat.

«Ne cherche plus: tu es arrivé!» me dit une voix.

 

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A propos pierrevaissiere

On avait réussi à collecter une dizaine de mots qui parlent de l'olibrius qui écrit ces âneries, et voilà, ils se sont échappés. C'est pourtant pas faute de les avoir tenus en laisse.
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