Psychiatrie

À propos du film d’Ilan Klipper
« Sainte Anne – Hôpital psychiatrique »

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Ce n’est pas un film, ce n’est pas un reportage, c’est une claque tout aussi violente que magnifique. Un joyau pur luxe, de ceux sans fioritures, qui éclairent. Difficile, ici de n’être que spectateur car comment ne pas “se mettre dans la peau” des uns –les soignants avec leur (toute) puissance, celle qui trop souvent signe l’impuissance– ou des autres –les malades que j’éviterais si possible de nommer patients, car comment rester patient lorsque ce qu’on exprime n’est pas entendu au-delà du premier degré (qu’il s’agisse du fond du discours ou de sa forme), et encore….Voir (et presque vivre) chacune de ces scènes a provoqué en moi un ensemble de sentiments où se mêlent malaise, incompréhension, et colère. Plus la honte.

Soignants : bourreaux-victimes ?
Si je me retrouve investi du rôle de soignant, mon empathie initiale (en supposant qu’il s’agisse vraiment d’empathie) est vite submergée par mes incapacités, mon énervement, mes peurs et mon besoin pressant de faire taire, d’une façon ou d’une autre, celui qui, face à moi, refuse d’obéir et me tient tête, comme je lui tiens tête avec mes propos incohérents, redondants et abusifs, à moins qu’ils ne soient lénifiants, moralistes et propres à mettre hors de lui le plus posé des moines bouddhistes. Je ne contrôle pas la situation, et excédé comme je le suis je ne me contrôle plus. Pour me sortir de ce cercle de déraison où plus personne n’écoute l’autre, le seul et unique contrôle que je puisse encore exercer consiste à décider, décréter et ordonner dans l’intérêt (supposé) du malade. Et surtout le mien, pour ma tranquillité et afin de me persuader d’avoir fait ce qu’il y avait à faire.

Malades : victimes-bourreau ? Investi du rôle du malade, je me retrouve très vite confronté à un mur. Je coule, j’appelle au secours, je me débats mais la bouée qu’on m’expédie n’y fait rien : soit elle est inadaptée (hérissée de pointes, par exemple) et je ne veux la saisir, soit elle est si loin que je ne peux l’atteindre, soit elle me heurte le crâne pourtant déjà bien secoué, soit encore elle est crevée. Que les cris des autres naufragés m’effraient, me touchent ou me laissent indifférent ne change rien au fait qu’une erreur de navigation a bel et bien eu lieu, erreur dont moi et mes semblables ne sommes pas obligatoirement responsables ou du moins pas les seuls à l’être. Mes appels réitérés mettent au supplice l’entendement de mes sauveteurs qui, n’y entendant rien à ce que je vis, perçois, ressens, hurle ou pleure, dressent entre eux et moi cette chape de plomb qu’on appelle contention, qu’elle soit chimique ou mécanique. Je suis à bout, je les mets à bout. Nous sommes faits pour nous entendre. Façon de parler.

Me plaçant entre les deux rôles et revenant à mon état de simple spectateur, j’ai été atterré par la légèreté, la désinvolture, le niveau de certains actes et propos mais aussi par le manque d’intelligence de coeur (mais pas seulement) des soignants, loin d’être suffisamment épanouis pour exercer ce difficile rôle de thérapeute. On pourrait peut-être en dire autant de quelques rares malades bien installés dans leur rôle (de malade) et dont le secret espoir est peut-être de se retrouver confronté aux soignants à qui ils mèneront la vie dure… grand bien leur fasse. Mais eux, les naufragés, sont excusables, n’est-ce pas ?

Malaise.En toute conscience et connaissance,  non de cause, mais d’effets, je peux décider d’être soignant. Je peux aussi, chose plus rare, mais pourquoi pas, “décider” d’être malade. Où plus exactement mettre en place ce qui m’amènera à l’être. Ici ma vie m’appartient et je peux décider de la vivre plus ou moins comme je l’entends.Une personne, une institution, une autorité peuvent décréter que je suis malade et que, dans mon propre intérêt, mais pourquoi pas dans leur seul propre intérêt, je doive être “soigné”. Si la marginalisation peut rendre malade, on peut aussi accuser de rage le marginalisé sans pour autant qu’il n’en soit atteint. Vieux, pauvres, étrangers… malades?

Miroir d’une société devenue folle, cette unité psychiatrique que dépeint Ilan Klipper n’est pas un bateau qui fait route vers une destination clairement identifiée sur une mer tranquille, mais c’est une Nef des Fous. Avec son ambiance lourde de tensions, menaces, violences, punitions que quelques rares éclaircies ne peuvent faire oublier. Se rendre compte qu’on n’a plus de contrôle rend impuissant, stupide et méchant. Qu’il s’agisse des malades ou décrétés tels, excusables et innocents (?), ou des soignants (pourtant censés être sensés, mais pervers et… oserai-je ? totalement abrutis au vu de leurs propos pour le moins décousus tenus avec force gesticulation intempestive ressemblant à celle qu’on attribue généralement aux… fous.Vivent les portes closes et les barreaux derrière lesquels certains enferment les autres pour se persuader qu’eux-mêmes sont sains, vont bien, ont raison car ils détiennent la vérité.

Honte !


Pour finir, je n’exprimerai qu’un simple souhait: que ces soignants se retrouvent durant quelques jours de l’autre côté du mur qu’ils ont érigé pour se protéger. Je ne prierai pas pour eux, Dieu n’ayant pas à réparer ce que la folie des hommes met en place, mais j’essayerai peut-être de leur donner un peu de ce dont ils ont apparemment besoin : écoute, compréhension et altruisme. Pour l’amour, je verrai si j’en suis capable.

Un grand merci à Ilan Klipper pour ce film lucide et sans concession.

Arte TV: Sainte-Anne, hôpital psychiatrique

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A propos pierrevaissiere

On avait réussi à collecter une dizaine de mots qui parlent de l'olibrius qui écrit ces âneries, et voilà, ils se sont échappés. C'est pourtant pas faute de les avoir tenus en laisse.
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3 commentaires pour Psychiatrie

  1. Duglandu dit :

    J’ai vu ce reportage : affligeant et consternant. Tout à fait d’accord avec vos articles et les commentaires que vous avez postés sur ce film Arte

  2. Un cliché parfait pour se rendre compte de l’état de la psychiatrie en France. Chapeau, messieurs du STUPID!
    Sinon, on fait quoi pour adhérer au STUPID ? Faut-il passer un examen, se soumettre à des tests, payer un pot de vin?

  3. Gudule dit :

    En tant que vice président de l’association S.T.U.P.I.D. (Société Tyrannique et Ubuesque des Psychiatres Imbus et Délirants), vous comprendrez que je ne peux totalement partager votre point de vue. Cependant, et après avoir visionné ce reportage, le Président et moi-même, vice-président, avons décidé d’un commun accord après un vote où nous avons obtenu la majorité absolue, de radier de notre association l’ensemble du personnel soignant de cette unité de Sainte-Anne. Pourquoi? vous demandez vous? Pour la bonne raison qu’à la prochaine assemblée ces salopards avaient toutes les chances de nous renverser et de prendre nos places de président et vice président. Et pour quelle raison? Tout simplement parce qu’ils sont encore plus dans la lignée STUPID que le président et moi-même, le vice-président. Ils sont bien plus tyraniques que nous ne le sommes, tiennent des propos si ubuesque qu’Alfred (notre secrétaire) en est tombé malade de jalousie, sont imbus, hautains, prétentieux et, vous en êtes témoin à travers le film, délirants comme ça n’est pas possible de l’être. Bref, on les a virés ces salopards qui voulaient notre place, il manquait plus que ça.

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