Gagner de l’argent à la sueur du front d’autrui

Dans un article « travailler plus pour gagner moins », publié le 25 mai 2010 par Pierre Vaissière qui n’est autre que moi-même, auteur des lignes que vous parcourez pour vous reposer de celles précédentes que vous lûtes insuffisamment hâtivement, ce qui vous porta à une consommation excessive d’Aspirine, j’avais annoncé publier sous peu un article sous le titre alléchant « Gagner son argent à la sueur du front des autres », l’article-même que votre impatience vous fait lire à tout berzingue, au risque de passer à travers les mailles ténues de cet humour d’une rare finesse que je me reconnais. Je l’ai déjà exprimé : on n’est jamais si bien servi que par soi-même, d’autant si le soi en question, se mirant dans un miroir en pied, estime posséder, à défaut d’une bonne fortune que la vie lui a refusé pour des raisons incompréhensibles frisant la déraison… estime posséder, disais-je, un ombilic parfait.

« Gagner son argent à la sueur du front des autres », quel programme alléchant ! Mais comment s’y prendre, ou plutôt, comment s’y prendre pour que les autres s’y prennent ? Ou plus précisément, comment M’y prendre pour que les autres s’y prennent ? car vous l’aurez compris, peu me chaut, même si cela doit jeter un léger froid entre vous et moi, que vos poches se remplissent : seules comptent les miennes que bientôt je viderai pour y compter pièces et lingots d’or. Cela ne posera pas de problème : mon tailleur, devenu richissime à force de s’en mettre plein les poches, m’ayant confectionné un solide pantalon de coutil pourvu de vastes et profondes poches.

J’ai un instant envisagé une activité dans le maquereautage, mais sachant d’avance que ma morale serait, un jour ou l’autre, amenée à réprouver ce type d’activité d’une pourtant confortable rentabilité, j’ai tiré un trait sur cette idée. D’autant que, tout bien réfléchi, cette activité qui me semblait à priori facile n’est pas exempte de lourdes taches laborieuses : entretiens d’embauche, tests de qualification, suivi des périodes d’essais et évaluations –impartiales–, cela va de soi.

L’idée d’un élevage de chiens de race – des mâles– m’a effleuré un temps. Les saillies de certains reproducteurs, et peu importe la marque pourvu que leur pedigree ne soit entaché d’aucune lien plébéien, fut-il latéral, sont d’un excellent rapport. Cependant, le montage d’une telle entreprise exigeant un investissement conséquent, sa rentabilité finale est bien en deça de celle du maquerautage.

Le racket.
Traduits en euros, quelques mois de body-building, de bons apports nutritionnels,  des sapes qui en jettent et une arme à feu convenable ne vont pas chercher bien loin. Les belles bagnoles ne manquent pas, les petits loubards qui veulent prendre du grade non plus. Les premières ne coûtent rien à l’achat tout en se revendant aisément; les seconds sont largement payés d’une tape sur l’épaule à l’occasion ou d’une claque dans la gueule pour bien leur faire comprendre qui est le patron.
Bon, il faut supporter le gel dans les cheveux, les pare-soleil des Blues-Brother et accepter de s’arracher la gueule en déclarant une fois l’an à son second : «Oh, mais tu sais que t’es un bon, toi !»
Doté d’une petite expérience acquise sur les bancs de l’école primaire, je n’y voyais aucun inconvénient en terme moral. Contrairement à la Justice, hélas !

Et pourquoi pas la politique ? Qui réunit sous le même chapeau racketteur et maquereau –très rarement cependant, comme me le signale un copain député qui vient de se faire construire une troisième superbe villa. Ouais… sauf qu’il faut partager.

Gagner du pognon à la sueur du front d’autrui, pas si facile. Mais à force de tourner et retourner la question dans mon crâne, j’ai fini par trouver. Ce qui ne s’est pas fait sans sueur, bien au contraire. Pas sans sueur, mais avec. J’insiste.
Non contente de me faire vivre comme un nabab, ma petite entreprise (d’une parfaite légalité) m’a propulsé d’un rez de chaussée minable de l’échelle sociale à une terrasse ensoleillée avec vue sur mer. Carnet d’adresses rempli, je croise les grands de ce monde, me croise avec les grandes du même et passe le plus clair de mon temps à croiser sur mon yacht, ne levant le petit doigt que pour me déverser dans le gosier l’ambre d’un Dom Pérignon auquel, je l’avoue, j’ai pris goût sans honte ni faillir.
«Mais diantre !» vous demandez-vous, «quelle idée de génie les dieux ont-ils déposé au creux de cette oreille méritante et tout ouïe ?»
Ce que les dieux ont déposé, j’en ai fait un concept qu’à mon tour j’ai déposé. Brevets et droits d’exploitation verrouillés pour tous pays, je peux maintenant lever le voile sur ma petite entreprise modestement et prolétairement baptisée : « 
Sueur des Autres« 

Transpirant à grosses gouttes à force de me turlupiner le cigare, je me suis posé la question de la valeur de la sueur. Celle d’un ouvrier de fonderie ; celle d’un terrassier ; celle d’un inquisiteur faisant avouer l’inavouable à une innocente (si, ça existe !), celle d’un gigolo oeuvrant sur un chef-d’oeuvre en péril ; celle d’un représentant de commerce en revues de charme essayant de placer sa camelote auprès d’un maquereau qui vit des charmes de ses protégées ; celle d’un étudiant boutonneux en biologie à qui une examinatrice gironde demande de décrire l’appareil génital du boa constrictor ; celle d’une star internationale du show-bizz se rendant compte que le micro qu’on lui tend lui évoque indubitablement quelqu’un qu’elle a beaucoup aimé ; et enfin, la mienne. Dont la valeur m’échappe totalement.
«Et celle des footballeurs ?» m’écriai-je à voix modérée, sachant que les murs ont des oreilles. Les footballeurs ont des fans, des groupies, des admirateurs aussi stupides qu’inconditionnels. Qui feraient n’importe quoi pour posséder quoi que ce soit qui leur appartint.

Aussitôt pensé, aussitôt fait.
Juillet 2010, Mondial de foot. L’Afrique du sud, à une volée de flèches, n’a pas eu à attendre longtemps ma visite. Continuée par celle des meilleures équipes, je veux dire celles non éliminées, évitant les élimées usées jusqu’à la corde, que par souci de charité chrétienne je ne nommerai pas. Les autres non plus, d’ailleurs, ne m’intéressant réellement qu’aux joueurs. Les meilleurs. Ceux qui mouillent leurs maillots, font frissonner les foules et s’humidifier le fond de culottes des sauvageonnes peinturlurées que la vue d’un vuvuzela mettent en transe, allez savoir pourquoi.
Armé de la liste de mes joueurs favoris et de mes « éprouvettes » (un stock de petites éponges rondes dans leur boîtier plastique, rachetées 3 francs 6 sous au fabricant en instance de dépôt de bilan consécutif à l’incessante mévente des dits boîtiers, elle-même consécutive à la mise sur le marché des timbres auto-collants), me voilà, épongette en main, absorbant à la source les précieuses sueurs. Goutelettes qui tombent en pluie des mâles visages ; ruisseau traçant son lit entre les escarpements pectoraux ; rivière scapulaire qui prend sa source près d’un neck, conflue dans la région du rein avant de disparaître dans de sombres gorges… j’écope, j’éponge, j’assèche sans relâche ni surtout jamais jeter l’éponge qu’avant saturation j’enferme dans sa boîte. Hermétiquement close afin que les subtils et virils éthers ne s’échappent. Une boîte, deux boîtes, trois… jusqu’à six, mon record actuel pour un seul joueur. Six éponges qu’un ingénieux traitement met à l’abri de toute oxydation.

transformer la sueur en or

La transmutation de la sueur en or

Ne riez pas, ne vous gaussez pas, ne me tournez pas en ridicule car… avez-vous la moindre petite idée de ce que s’est vendu aux enchères le boîtier original « Sueur des Autres » de Messi ? Celui de Sneijder, vous croyez qu’il est parti à quel prix ? Même Thierry Henry, et sans parler du boîtier original, un des onze exemplaires à tirage limité, vous avez la moindre idée de ce que ça m’a rapporté ? Je ne vous parle même pas du boîtier Forlan, l’original. Vous ne le croiriez pas.

Bien sûr, de la pièce unique je suis passé aux séries limitées et numérotées, en deux versions, or et platine. Puis à la grande série avec produits dérivés lorsque je me suis rendu compte qu’un malheureux 10 000e de sueur –j’ai bien dit 1/10000e– suffisait amplement.
«Mais il n’y a pas que le football…» vous entends-je dire. Qu’est-ce que vous imaginez ? Bien sûr qu’il n’y a pas que le foot. Et pas que le sport. Aussi, avec mon staff, nous sommes nous attaqué aux empereurs du green, aux rois de la raquette, aux as du volant, etc. avant de passer aux stars du show-bizz, de la com et de la came réunies. Par contre, j’avoue avoir fait un bide avec les politiques.
Et j’aime autant vous dire qu’avec le réchauffement climatique, ça n’est pas demain la veille que nous manquerons de matière première.

Mais quel boulot !

 

Publicité

A propos pierrevaissiere

On avait réussi à collecter une dizaine de mots qui parlent de l'olibrius qui écrit ces âneries, et voilà, ils se sont échappés. C'est pourtant pas faute de les avoir tenus en laisse.
Cet article, publié dans affaires, commerce, activités, allégorie, gros goret, humour (décalé), sport, est tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.