Stade ultime de la violence conjugale, le meurtre est précédé de bien d’autres actes de (moindre ?) violence. Ceux-ci trouvent leur source dans l’inconscient individuel et dans l’inconscient collectif nourris des modèles familiaux et sociaux tant anciens qu’actuels, et soumis aux structures archaïques de l’animal. Parce que cela est arrangeant nous occultons la bête qui demeure en nous, tapie dans l’ombre mais prête à se réveiller lorsque l’occasion se présentera, nous révélant notre nature profonde encore toute empreinte de cette bestialité humaine qu’illustre à merveille le besoin ou l’envie de domination et de possession. La sédentarité, le mieux vivre, le confort et la rupture d’avec la nature nous ont privé de ces instincts essentiels à la survie d’une espèce, tandis que ceux privilégiant l’individu se sont développés et que sont apparus les notions de pouvoir.
Si la violence conjugale a sa propre spécificité, elle ressort déjà et avant tout de la violence tout court. Violence avec laquelle la vie nous met très tôt en prise, parfois lors de la gestation, souvent dès la naissance. Les expériences qui la suivent, si elles sont vécues dans un environnement de lutte, d’agressivité, de domination constitueront le ferment sans lequel la violence ne saurait être vraiment nourrie. Si le vécu, notamment au cours des premières années de vie, nous confronte au délaissement, à l’abandon, au rejet, à la transparence ou à un manque de relation à l’autre (avec la mise en place d’un sentiment de non amour, d’inexistence, de rupture d’avec l’autre et l’absence d’une image positive de soi), les conditions sont réunies pour que la violence sorte un jour de l’ombre (pas systématiquement, le surmoi veillant).
Vouloir s’attaquer à la violence est aussi stupide que vouloir dévorer les anthropophages pour qu’il n’y en ait plus. Alors plutôt que de mener une guerre contre elle, c’est la recherche de la paix avec elle qui doit nous animer, dont le résultat sera la paix en nous et avec autrui. Avec un peu de chance, et à condition d’oeuvrer avec autrui et non pas seul, de soi à soi, pour les seuls “progrès” (je pense aux dérives du “développement personnel”) et confort individuels.
Cependant, la violence étant inhérente à la vie, il ne sera pas question de la nier mais de lui trouver un autre terrain d’expression en la déviant de son objectif initial destructeur qui, au final, ne sert les intérêts de personne.*
* C’est dans le cadre d’une pensée anthropocentrique que la violence est ici perçue comme étant destructrice. Car dans la nature sa fonction première est de permettre l’évolution des espèces, qu’il s’agisse de la violence des animaux, insectes, virus, etc. (qui, à priori, n’exercent un pouvoir et une domination que dans le seul but de perpétuer leur espèce et non pour leur seul intérêt personnel, contrairement aux hommes)ou de la violence naturelle (volcans, séismes et tsunamis, ouragans, etc).
4 HISTOIRES À PLEURER – HISTOIRE D’EN RIRE ?
dont 2 inspirées par cette sublime, fine, merveilleuse et généreuse Journée de la Femme.
Il n’y aurait donc qu’une femme, si je suis bien (du verbe suivre, pour ceux qui ne suivent pas) de même qu’elle n’a qu’une journée. De vie ou qui lui est dédiée ?
1 jour pour elle, mais 364, voire 365 pour le reste. Cherchez l’erreur.
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« Espèce d’abruti. Tu vas voir !»
J’esquive la gifle qui m’est destinée, mais en voulant se précipiter sur moi, il perd l’équilibre, envoyant dinguer sa chaise en arrière. Il s’affale sur la table, renversant son verre de rouge sur la toile cirée.
Quand mon père pique sa crise, j’ai sacrément intérêt à me caleter. Surtout les jours de paie comme aujourd’hui où, allez savoir pourquoi, il rentre du boulot beaucoup plus tard que les autres jours.
« C’est pas un sale merdeux qui va faire la loi ici !»
Il s’empare du pique-feu, vient sur moi comme un dingue, le brasier du meurtre dans ses yeux. Il est sur moi et chaque nouveau coup qu’il me porte me fait me recroqueviller, jusqu’à ce que je ne sois plus qu’une infime parcelle de vie, jusqu’à ce que je ne sois plus rien du tout. Alors la douleur de mes chairs s’endort, et la seule douleur qui m’habite est de ne pouvoir le tuer. Pas encore.
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Une fois de plus, elle l’avait sentie monter en elle. Mais qu’avaient-ils bien pu dire ? De quoi avaient-ils parlé? Elle n’arrivait pas à s’en rappeler et ça continuait à monter, monter. Son front était devenu rouge un court instant puis le sang l’avait quitté, refluant tout entier, quelque part très profond dans son corps. Elle ne savait où exactement. Mais c’était quelque part dans le ventre, loin, très loin.
« Ben, t’en fais une gueule…! »
Ce que son copain venait de lui envoyer l’avait achevée. Et comme à chaque fois, sa “gueule”, elle l’avait fermée ; elle avait pris sur elle. Elle s’était renfoncée dans son siège, soudain absente, à dix mille années-lumière de là.
« Tu vas pas nous refaire ça !»
Quelques mots de trop qui avaient cinglé, lui tordant tout à coup les chairs et les nerfs, de la glotte jusqu’au cœur qui se serrait maintenant, en passant par l’œsophage, loin derrière. Elle avait bien failli tout lui cracher au visage, tout lui vomir ce mal qui lui faisait si mal, mais sa haine contenue montait bonne garde, et rien n’avait pu sortir. Comme d’habitude.
Puis petit à petit, la soirée avait repris son cours. Elle n’allait quand même pas en faire toute une histoire, et après tout, ils avaient tous été si gentils de l’inviter. « Trop gentils » songeait-elle, s’en voulant maintenant de s’être comportée de la sorte. Et comme à l’accoutumée, elle se sentit humiliée, blessée au plus profond de son être, désemparée, au bord de cette amertume qui fait monter les larmes par vagues, au rythme des hauts le cœur.
« Allez…, ressaisis-toi ! », se dit-elle tout à coup en se rappelant les sempiternels sermons de son père, lorsqu’elle était petite : « Tu pourrais quand même faire un effort…! ».
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— Tiens, prends ça, salope !
— Pauvre mec… connard. Cornard !
Aie aie aie. Elle y était peut-être allée un peu trop fort. Mais il commençait à la tanner sérieusement avec ses conneries. Et avec ses coups.
— Poufiasse… Tu vas voir c’que tu vas voir…
Elle s’y était attendue, mais la violence du choc l’avait tout de même surprise. Et là où il venait de cogner, ça lui avait fait comme un coup de poignard chauffé à blanc.
Lui, il n’en avait rien à faire. Et puis cogner, il aimait plutôt ça. ça lui rappelait de drôles de souvenirs, avec un petit goût bizarre et pas du tout désagréable dans la bouche. Alors il avait remis ça, plusieurs fois. Avec une sorte de plaisir mêlé d’écoeurement. Il avait fini par s’arrêter, à bout de souffle.
Mais maintenant, qu’est-ce qu’elle attendait pour se relever ? Qu’est-ce qu’elle foutait ?
Il s’était penché sur elle, lui retournant la tête. Et il avait vu. Et ce qu’il avait vu l’avait fait pâlir tout à coup.
— Allez mon bébé. Allez… Bouge. Mais bouge donc. T’as pas le droit de m’faire ça.
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Encore une fois, je m’étais entendu dire « oui ». La veille, pourtant, je m’étais juré de ne plus accepter : « Ce coup-là, c’est fini et bien fini. Si cet enfoiré me demande encore un service, je l’envoie sur les roses. ça commence à bien faire. C’est toujours la même chose. Et tout ça, pour des trucs foireux. Et à chaque fois, ça me retombe dessus. J’avais fini par accepter. Comme d’habitude. Oui – oui – toujours oui – encore oui. Je m’étais pourtant bien décidé à l’envoyer se faire voir, mais le «Non» timide que j’allais enfin articuler était resté coincé en travers de la gorge. Et puis le « OUI « avait fusé, affirmatif, évident, sans équivoque.
« Tu sais, faut pas te sentir obligé » avait-il ajouté, hypocritement.
C’était sans appel. Je m’étais encore fait blouser, ou plus exactement, je m’étais encore blousé moi-même, me mentant à moi-même, me racontant des histoires, ne me respectant en rien. Je me sentais manipulé, plein de colère et de rancœur contre lui qui profitait de mes faiblesses, mais plus encore contre le pauvre mec que je regardais dans le miroir, et dont le regard fuyait, maculé de honte, cette honte derrière laquelle se devine la haine. De soi et des autres.
Trop bien les histoires, qui peuvent faire un peu mal si on s’y reconnaît.
Je me serais passé de l’entrée en matière, un peu docte à mon goût, mais les petites histoires sont parfaites et illustrent bien le thème