Muguet précoce et 1e mai

« Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps
Pour une fleur un sourire un serment
Pour l’ombre d’un regard en riant
Toutes les filles
Vous donneront leurs baisers
Puis tous leurs espoirs […] »
Au printemps ; JACQUES BREL

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Ah, le printemps… Le foutu printemps !
Il y en a qui se réjouissent, pas moi.
Quelques jours en arrière, avec les petites froidures matinales, nous avons cru nous en sortir. Puis badaboum ! Non, pas badaboum, parce qu’aucun orage de mars n’est venu, aucun blanc gel n’a résisté aux levers de soleil, aucune giboulée ne s’est amusée à semer ses blancs pétales au pied des fruitiers : une catastrophe. Alors le gai printemps un peu trop chaud à mon goût, les ombrelles, les robes légères des filles qui virevoltent au passage d’une voiture qui passe au feu rouge, qu’il s’en aille jouer sa comédie en Arles ou au diable Vauvert, je veux bien, mais pas ici, pas au nord de la ligne Bordeaux Montélimar où on peut espérer avoir les nougats suffisamment au frais pour ne s’épanouir qu’à la bonne période, mais pas avant. Et vivre vieux.
Pour cet an de disgrâce 2011, et jusqu’à présent, je l’ai dans l’os la tige : peu de chances que le syndicat ne me secoue rapidement les clochettes, voir pire. À moins que le temps ne fasse un coup de Jarnac comme en avril 2003 quand le thermomètre était descendu en dessous de -5°, ce qui nous avait permis de souffler jusqu’à la fin du mois.
Mais faire quoi, si cet été précoce établit ses quartiers en lieu, place et mois  dévolus au printemps et s’y installe à demeure, ne laissant aux bractées d’autre choix que celui de  croître, aux hampes celui de pousser et aux feuilles celui de se développer ? À moins que quelque monstre mithridatisé devenu insensible à mes toxines ne grignote mes racines adventives ou ne dévore un morceau de rhizome, qu’un coup de froid sibérien vienne retarder ma pousse ou que le coup de pioche vindicatif d’un chercheur de trésor qui n’a rien trouvé ne me perturbe, je ne me fais aucune illusion : mon existence ici touche à sa fin et la date fatidique que Dame Nature avait fixée va être avancée d’au moins une quinzaine de jours.  Pour preuve les promeneurs de ce matin.

— Tu s’ras de la manif, le 1e mai ?
— Pas sûr. Si le muguet ça a bien donné, j’emmène la Gisèle au Tréport. L’oncle et la tante.
— Les camarades de la cellule ?
— Oui, ceux-là mêmes. On s’fera le défilé là-bas, avec leurs potes de la fédé.
— M’est avis que c’est comme si c’était fait. R’garde-moi ça : dans deux jours, à nous les fées clochettes et les sous.
— Tu le mets à combien, le brin ?
— Ça dépend si c’est pour un joli brin de fille, un camarade ou un bourge’.

Des gars de la CGT, manifestement. Ou du parti.
Ma floraison n’est pas finie, mais je ne donne pas deux jours pour que mes grappes de sublimes fleurettes blanches atteignent des sommets. Ça sentira bon le muguet pour eux, le sapin pour moi.

Et las, prier Notre-Dame du bon temps n’y changera rien.

 

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A propos pierrevaissiere

On avait réussi à collecter une dizaine de mots qui parlent de l'olibrius qui écrit ces âneries, et voilà, ils se sont échappés. C'est pourtant pas faute de les avoir tenus en laisse.
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Un commentaire pour Muguet précoce et 1e mai

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