Le silence, une langue lumineuse

Il y en a qui parlent anglais, avec ou sans chewing-gum, même si ça fait plutôt américain, mais c’est de l’anglais quand même. D’autres parlent en arabe ou en chinois, des fois les deux. Il y en a plein qui parlent comme ça, mais pas tous parlent les deux. Il y en a qui parlent espagnol, beaucoup. Et italien aussi, mais on peut pas les compter, à cause qu’ils causent trop vite. L’allemand aussi, puis tout plein d’autres langues que je sais même pas qu’elles existent, ni leur nom, du coup. Il y en a qui parlent pointu, ça je sais c’que c’est, puis celle qu’est en bois, celle qu’est de vipère, celle qu’est de pute, que je sais même pas à quoi elle ressemble. J’en ai entendu parler mais je l’ai jamais entendue parlée ni parler. De sable et de feu, ça existe, j’ai jamais entendu, mais je sais qu’elles existent. Comme celle de chat. Le chien, je crois pas qu’il y a la langue de chien.
Des fois il y en a qui parlent italien, par exemple, mais anglais en même temps, que ça fait drôle et rigolo.

Moi je parle silence. C’est ma langue que j’ai apprise à force que j’étais toujours seul. J’ai toujours été seul, même avant de naître, je crois.
Je suis très fort en silence. Pas de fautes et même pas d’accent qu’il y en a que ça fait moquer et qui disent d’où qui vient, lui ?
Ma langue à moi c’est le silence. C’est la seule que je comprends parce que je l’ai apprise par cœur, à force. Des gens ils disent que ça s’appelle autisme, même qu’ils sont pas d’accord avec d’autres qui disent que c’est pas vrai, que c’est mutisme qui est vrai. C’est des étrangers qui comprennent pas le silence. Je suis content de parler silence, parce qu’il y en a plein qui savent pas le parler, alors je dis tout ce que je veux et même ce que je veux pas.
Quand je parle c’est doux, qu’on dirait du duvet. Ça fait pas de bruit, juste chhhhhhut, comme quand ça chuinte, mais en moins fort. Alors on m’entend pas, j’aime bien.
Ce que j’aime encore plus c’est quand on parle silence tous les deux avec Flore, c’est drôlement joli comme nom. C’est comme si on avait appris pareil. On se prend la main, seulement s’il y a personne, surtout pas des qui connaissent rien au silence et qui comprennent pas qu’on se touche. Flore, je suis sûr qu’elle est jolie, mais comme elle le sait pas, je lui dis en m’appliquant. Ça nous remue tout, ça nous fait comme du chaud de printemps à tous les deux, et on se le murmure comme la brise elle le chante dans les branches, après que les bourgeons, comme on est au printemps, ils ont fait les feuilles. Flore elle est fragile comme la poupée qu’elle avait qu’était pas en chiffon, mais en je sais pas quoi qui est plus dur. Elle est toute pas grosse et drôlement légère, Flore, comme une plume d’édredon.
Un jour où il y aura tout plein de brise on montera tout en haut dans l’arbre du printemps.

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