11 novembre

Je me suis mis entre parenthèses, qu’on se le dise, et qu’on ne vienne pas pleurer dans mes godillots, déféquer sur mes bandes molletières et produire toute autre excrétion digne des plus lamentables tragi-comédies. Le pathos me gonfle, la douleur me fait gerber, sauf lorsqu’il s’agit de la mienne, celle que je tiens au chaud pour plus tard, et que je sortirai lors’il sera trop tard. Congé ? Si vous voulez. Niveau en main, deux mètres de long, c’est plus sûr, je me suis mis en quatre pour coincer la bulle. Position suffisamment inconfortable pour en tirer du mérite. Pas bouger le moindre doigt… pouce ! Attendre le déclenchement officiel des hostilités, notre pain quotidien. Il pleut, fait pas chaud.

T’écris moins ces temps-ci, c’est quoi-t’est-ce-qu’est-ce-qui-se passe ?
Rien. Comme dab. Je veux parler du père, l’autre, celui qu’il est de bon thon, c’est pas si mal avec une mayonnaise distribution roulante, de bon ton, comme dirait Delfeil, de majusculer. Mais va majusculer quand t’en peux plus d’avoir du boudin à la place des doigts, sous prétexte que, ben voui, c’est ça la vie, faut croûter. Alors, arme sur l’épaule, poing à la ligne bleue des Vosges ou d’ailleurs, tu œuvres à la tâche, donc te salis, t’encrasse, pas que les mains, je te le garantis rubis sur l’oncle d’amérique, celui qu’on s’était promis de se permettre d’avoir. Jusqu’au réveil et son lendemain qui déchante à cause d’un coq mal viré et aviné, qui se fait déplumer, plumer, puis passer à la casserole, pov’ bête.
Les patates, si tu connais pas, tu ne peux pas savoir. Le dos, lui, tu le décrasses. Germaine, dans sa dernière lettre, elle dit que ça fait pisser, que les reins ça les fait marner pire que les taxis à la guerre, quand c’est une grande guerre avec des soldats poilus qui se barbent et en chient comme deux ronds de flan en attendant une mitraille salvatrice. La Grande guerre,  on dira, tu parles !
Les reins qui trinquent, qu’elle rajoute. Rien à voir avec ce qui cloche dans les églises, dzing, fêlée la cloche, avec son bruit de couverts quand tu fracasses le tiroir qui rechigne, malgré le savon de Marseille que tu lui as servi pour que ça glisse. Nous, ça risque pas de glisser, parce que faut pas croire, mais se laver, ici, c’est du luxe.
Au pays, Germaine y fait aussi, les patates. C’est ce qu’elle me raconte. Je me la vois qui remonte ses jupons, et hop ! v’là que ça y va. Pas une feignasse comme ceux qui font qu’à lire des conneries ou pire les écrire, comme si y’avait pas mieux à faire que perdre son temps à des âneries. Citoyens, citoyennes, etc. et j’en passe, en ces heures graves où la Nation… 

La boue de novembre, y’a pas mieux comme habit du dimanche, même en semaine. Pas mieux question réalité. C’est pas que ce soit joli, non, mais quand tu l’enlèves à cause que si tu la laisses tu es tout salopé du haut en bas au moment fatidique, comme on dit, quand tu l’enlèves, tu vois les gens exactement comme ils sont. Sans la boue. Un mort nu, bien passé sous la douche, ça devient tout beau. Je veux dire tout vrai. Attention, hein, faut mettre la pression pour bien enlever les croûtes. Je dis douche, mais on fait ça au jet.
Tout beau. Pas comme les pages d’un livre, mais comme les premiers mots d’un poème qu’aurait jamais été écrit, à cause que le poète il se serait fait enlever la vie parce qu’elle était devenue une vie de chiottes. Les Appolinaire ne courent pourtant pas les rues, mais tant pis, fallait pas prendre Wilhelm pour Guillaume.
Les poilus, ils finissent par s’en foutre de la boue. Des rats aussi, sauf peut-être ceux des ministères. À les entendre dire qu’ils en ont gros dessus, les patates doivent pas manquer dans les tranchées. La vraie disette, c’est celle du silence, mais on se rassure, sachant qu’il peut venir d’un instant  à l’autre, d’une salve à la suivante. Alors les Germaine et les autres, sûr qu’on les retrouvera. Les bras chargés de chrysanthèmes. C’est aussi celle des mots simples de ceux qu’on se rend compte qu’on les aime parce qu’on est loin d’eux et perdus, et qu’ils nous le rendent bien.
Sinon, question de ces choses qui font dire qu’on est vivant, entre les sales bêtes qui nous grignotent, la vermine qui nous met à sang, les galonnés qui bombent le torse pour nous envoyer au feu, les arbres déchiquetés, les discours va-t-en guerre et tout le reste innommable… on a tout, et même du rab. Depuis bientôt un siècle, ou plus.

A propos pierrevaissiere

On avait réussi à collecter une dizaine de mots qui parlent de l'olibrius qui écrit ces âneries, et voilà, ils se sont échappés. C'est pourtant pas faute de les avoir tenus en laisse.
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