J’ai voulu prendre la première âme qui passait par là, à ma portée. La portée des âmes, c’est court, très court. Normalement il n’y avait aucune raison que je ne puisse l’atteindre. Et hop !
Loupé. Le temps de me dépoussiérer, elle avait déjà tourné le coin de la rue.
J’ai regardé à droite, à gauche, devant, en arrière: personne. façon de parler. En haut, il y avait bien des anges, et en bas des pas anges, des démons ou assimilés, mais pas question de m’incarner en ange ou démon, et quand bien même le voudrais-je, pas sûr que j’y parvienne, n’ayant jamais été très doué pour les démarches administratives, ni une quelconque quête du pouvoir. Sans compter qu’une fois gravis ou descendus les échelons, assumer les lourdes charges dévolues aux anges ou aux démons me semble être une tâche par trop ardue. Après plusieurs incarnations, il n’y a rien d’extraordinaire à désirer avoir une vie tranquille.
S’incarner n’est pas si difficile : deux géniteurs et le tour est joué. Reste à remplir l’enveloppe, d’où la nécessité de trouver une âme à sa convenance. Mais nom de Dieu, où vais-je pouvoir en dénicher une dans ce foutu pays que les âmes ont apparemment déserté ?
J’ai pensé à essayer de rattraper la seule âme vaguement aperçue, mais quelle rue prendre ? Celle dans laquelle elle s’est enfournée ? Et ensuite, opérer au hasard ? Avec combien de chances de la retrouver, et si c’était le cas, réussirai-je à mettre le grappin dessus pour me l’attribuer ?
J’ai laissé tomber et repris mon errance.
Du monde, oui, j’en ai croisé, mais pas âme qui vive.
Puis j’ai senti comme un appel. Une plainte où mes pas obéissant au doigt et à l’œil à mes oreilles m’ont dirigé au fond d’une impasse. Des poubelles et un chien moribond couché sur le flanc. Une pauvre bête solitaire qui rendait l’âme.
Alors en même temps que je le carressais, je la lui ai prise, me disant qu’elle ferait amplement l’affaire pour ce que j’aurais à vivre dans ce monde qui a perdu son âme.