Pèlerinage sur les lieux de mon enfance, lointaine, à cause des jours qui se tricotent des mois, puis des années. La maison a résisté au lave-linge, mais pas au lavage à angle droit, soit 90°, à moins que les degrés aient changé de valeur calorique. Toute petite, la maison –une villa fin des années 50, 1900, je précise. D’immense, qu’elle était, elle est devenue rachitique. Disette ou régime ?
Volets clos, sauf un qui pendouille, arraché de ses gonds. Elle semblait désertée, la maison, encore plus isolée qu’avant, 60 années en arrière, abandonnée, toute seulette.
Une gerbe de vieilles clés en main, que j’avais apportées au cas où, j’ai ouvert la serrure, une docile collabo, malgré la peinture qui s’écaille et les plaques de rouille. Prends ce trousseau, m’avait dit un pote serrurier, y’en a bien une qui fera l’affaire.
J’ai ouvert les volets. Ronces et mauvaises herbes ont refait le décor et le châtaignier géant dans lequel je grimpais me construire des cabanes s’est rabougri. Les cabanes, c’était pour me mettre à l’abri, les jours d’orage de mon père. Un abri que ses colères et son sens aigu d’une bonne éducation rendaient vain. À voir la taille de l’arbre, telle que je la mesure aujourd’hui, le paternel n’avait aucun mal à venir m’y dénicher pour me faire dégringoler du nid.
Mobilier et objets s’étant faits la malle –la mauvaiseté gagne du terrain–, une visite au grenier s’impose. On y accède par une échelle de bois unijambiste, handicap causé par une manœuvre maladroite de mon père, un jour tempétueux où il m’avait coursé dans un arbre. Dans mes souvenirs, l’échelle était immense comme l’était l’écartement des neuf barreaux, d’où sa hauteur. Une fois la trappe ouverte, j’ai procédé à un premier rétablissement, suivi d’un second concernant cette bizarrerie qu’on nomme vérité, qui est fonction de notre vision des choses, et dont on apprend, plus tard, qu’elle est à géométrie variable. Le grenier de mon enfance était un terrain d’aventures aussi grand que l’Amérique, dont les frontières étaient les recoins trop sombres où se rendre était une assurance de mourir de frayeur ; il s’est réduit à une peau de chagrin, impression consolidée par un choc violent de ma tête sur une panne de la charpente qui n’a pu que s’affaisser. Avant, je l’arpentais tout debout et, à distance des recoins ténébreux, tête haute. Aujourd’hui ma tête, nouvellement cabossée, est à une demie coudée de la poutre faîtière.
Le temps de m’acclimater au peu de clarté que délivre un vasistas où s’est installé à demeure la gent tisserande des arachnides, je me demande ce qui a pu survivre du bric à brac que nous nourrissions une fois l’an, profitant du grand ménage de printemps : poupées de ma sœur passées à la guillotine ; nounours éventrés par les mains malhabiles du chirurgien que je ne deviendrai pas, tant pis pour la médecine ; ustensiles de cuisine en alu cabossé ; meubles en formica dont on ne pouvait imaginer qu’un demi-siècle plus tard ils deviendraient la proie des antiquaires ; une série de valises plus ou moins éventrées dont ma mémoire avait fait des malles gigantesques ; des morceaux de vélos épars, dont celui reçu à l’anniversaire de mes cinq ans, sur lequel je n’avais pu grimper qu’une fois venu l’âge de raison –sept ans–l, d’une part parce qu’on me disait déraisonnable, d’autre part parce qu’étant haut comme trois pommes il m’avait fallu grandir avant de pouvoir enfourcher la bécane.
D’une des ex malles géantes pendouillent ce que l’ombre me permet d’identifier comme étant des frusques, qui l’étaient déjà avant même d’être remisées en ces lieux : jupettes à volants – costume de premier communiant – trois paires et demie de tennis éculées dont le blanc a jauni, tandis que le bleu marine s’est embrumé – tricots de peau auxquels de trop nombreux passages en lessiveuse ont usé les côtes – serviettes hygiéniques en coton éponge que j’avais toujours cru être des draps de bain pour les poupées de ma sœur – couches en étamine éfrangées et usées jusqu’à la corde – la saharienne rouille délavée de mes huit ans – plus une tripotée d’autres articles de confection que ma mère, ménagère économe et avare de gabegie, nous faisait nous repasser –sans le fer. Puis une paire de gants, si petits que je cherche quel poupon de celluloïd les aurait égarés. C’étaient mes gants ; c’étaient aussi mes tennis ; c’était mon immense terrain de jeux, ce grenier devenu ridiculement petit ; c’étaient ma maison où je me perdais, mon arbre où je me cachais… et tout a rapetissé. Jusqu’au chemin qui, du village, mène à la villa. Il me fallait alors plus d’une heure pour le parcourir, presque trois quarts d’heure pour le courir sur mes petites jambes, vingt minutes pour le suivre sur mon vélo d’enfant. Aujourd’hui, son court trajet n’a pas dû me prendre plus de quelques minutes.
Que je le veuille ou non, le monde a rétréci, et j’ai beau m’évertuer à enfiler ces gants et ces tennis qui furent les miens, rien n’y fait.
J’ai refermé la minuscule trappe, décroché la courte échelle, refermé les petits volets de bois, tiré derrière moi la porte étroite de l’entrée que j’ai fermée à clé. J’ai refais le chemin inverse jusqu’au village : quatre minutes, sans forcer sur l’accélérateur.
Par l’autoroute, les 600 kilomètres qui me séparent aujourd’hui de mon domicile –lune maison de famille que j’ai retapée dans le pays d’origine de ma mère– me prendront à peine plus de 5 heures. À l’époque, lorsque nous nous y rendions pour les vacances, il nous fallait une bonne journée.
Tout, vraiment tout, choses, distances et temps s’est accourci, et l’allongement du temps de vie n’empêche en rien que la vie passe de plus en plus vite. Le monde a cessé d’être à notre mesure dès lors que nous avons pu nous asseoir sur une chaise sans avoir à l’escalader : il a irrémédiablement rétréci.
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