Blettes-lès-Gonnasses, c’est là que j’ai élu domicile, depuis toujours. Un charmant patelin connu pour ses gonnasses fourées aux blettes, un délice, qui ne vaut peut-être pas les Bêtises de Cambrai, l’Andouillette de Vire, les Tripes à la mode de Caen, les Sucettes à la Nice ou la Raie à la Grenobloise, mais qui vaut largement le détour si le GPS tombe en rade ou qu’une poignée de locaux, des bouseux, quoi, a érigé des barricades pour s’ériger contre la décision des pouvoirs publics de faire passer le TGV en plein dans le bistrot, on va où ? Les ploucs d’ici, pour la plupart, c’est mi-éleveurs, mi-agriculteurs, mi-chasseurs ou mi-pêcheurs, mais c’est pas rare qu’ils donnent dans l’un et dans l’autre, surtout si c’est le moment et que le moment est favorable. Comme lors de la nouvelle Lune, qui vaut bien l’ancienne, la Noire, comme ils l’appellaient, à cause qu’on comprendra si on s’est déjà baladé en forêt par une nuit sans. Pour les gonnasses aux blettes, je suis pas de loin ou de près le meilleur, mais je suis pas non plus le pire, même à vue de nez. Mes gonnasses, contrairement à la majorité qui a du palais , y’en a bien quèques uns qui les goûtent pas tant, mais comme j’ai toujours dit, le mauvais goût, c’est pas le mien, et si la gnôle que j’y mets ils la trouvent anguleuse, comme ils prétendent, ils ont qu’à y faire avec la leur, et on verra.
On cause, on cause, mais c’est pas ça qui fait avancer les choses, ben tiens ! Les choses, c’est au bistrot qu’on y fait avancer, comme on y a toujours eu fait, avec les copains, qu’on est tous dans la même carriole, je dis que ça, avec leur saloperie de TGV que, la capitale, c’est pas elle qu’on risque d’y aller, pour quoi y faire, que les lieux de perdition, on en a bien assez par chez nous pour pas aller dépenser nos fifrelins à la capitale, déjà qu’on en a pas tant. Faut pas avoir entendu parler du prix du rouge limé qu’ils y font, à Paris, pour avoir envie d’y aller, y’en a qui s’emmerdent pas.
Et tant qu’ils y sont, pourquoi pas un aéroport par dessus le marché ? Ben tiens, en voilà une bonne idée. Et les bêtes, ça va donner quoi, avec le bouzin que ça fait ?
C’est pas le tout, en route que je m’ai dit. Même si le bistrot c’est la porte à côté, quand faut y aller, faut y aller. Le temps de traverser la rue, j’y suis. Je salue les vieux gars un par un, le maire en dernier à cause qu’il est en train de lever son verre à la bonne nouvelle. La Préfecture, ils avaient le choix entre faire du patelin une zone paychiatrique, qu’ils ont dit, ou faire passer le TGV à Dache-lès-Blettes, ce qu’ils ont finalement décidé. Pas con, le maire, qui leur avait dit c’est pas qu’on est contre, mais c’est pas non plus qu’on est pour, c’est 50-50. Alors on veut bien la loco et les wagons, mais pas les rails. Ou à la limite, le rail gauche et la loco seule, sans les wagons. Si ça c’est pas de la démocratie, qu’il a rajouté, je rends mon tablier. Les autres ont bien essayé de noyer le poisson, genre pourquoi le rail gauche et pas le droit, mais c’est tombé à l’eau, comme un coup d’épée dedans.
C’est vrai qu’on est pas toujours d’accord, enfin, jusqu’à 11 heures. Après, allez savoir pourquoi, ça s’arrange. C’est comme pour cette histoire de mariage pour tous où ça a bien failli tourner au vinaigre, et c’est pas du propos de raciste, qu’on se méprenne pas. Y’en a qu’étaient pour, y’en a qu’étaient contre, même que dans les contre y’en a, m’est avis, qu’avaient la jaquette un rien frisotante au vent, mais ça les regarde. Et du côté pour, faut dire qu’il y avait de l’élection dans l’air, y’en a plus d’un, au bistrot, qui disaient le contraire si le curé était là. Pour le boulot, qu’il arguait, le curé, à cause que son vin de messe qu’était plus ce qu’il était le turlupinait encore plus que la bonne qu’avait plus de choses là où il n’est que justesse que les filles en aient, que dans le ciboulot. Un verni, le curé. À midi moins le quart, on avait fini par tomber d’accord en se disant qu’on en avait rien à braire, et que ça allait rien changer à la recette des gonnasses aux blettes, l’essentiel.
Je sais plus qui, peut-être bien Jojo, il s’était mis à pousser la chansonnette, un truc de Gréco.
Marions-les, marions-les
Je crois qu’ils se ressemblent
Marions-les, marions-les
Ils boufferont des gonnasses ensemble !
Qu’on avait repris en choeur et en pire, pour les paroles. Et pour l’air aussi.