Une série de textes en guise de propos, pour vous faire une idée ; Vague ou précise ? C’est selon…
Grand ami d’Ibn Shobol (un des derniers philosophes aux pieds nus qui passe son temps à nomadiser) pour qui il se prend lorsqu’il s’imagine pérégriner dans le désert, Pierre Vaissière n’est ni sage, ni zen, ni un sage et encore moins un moine bouddhiste. Non : il aime tout simplement s’amuser à « se la jouer » quand ça lui prend.
Comment alors s’étonner qu’il ne soit pas vraiment en odeur de sainteté auprès des culs pincés et lèvres serrées ?
Le contenu de ce blog ? Des mots, comme ceux des chants d’amour, ceux des chants de révolte, ceux des champs de batailles avec l’honneur qui va avec… foutaises ! Des mots de mer, parfois SOS… Des embruns de phrases ; des lames pour couper court aux voyages au long cours d’où on ne revient pas… Des mots jetés aux nues ou gravés dans le sable… Et qui s’effaceront.
Une citation pour avant-propos
«Mes sandales en pur néoprène bio ont fondu depuis longtemps, un jour d’été si fameux que j’en ai oublié la date. Désormais collé au sol j’ai mis au clou le nomade, qu’un temps, j’avais rêvé d’être lorsque je m’appelais IbnShobol. De ci de là, avec ou sans l’autre, me voilà condamné à créer mes propres immensités. Pas toujours avec délectation.
Sur cet esquif que j’ai nommé la Shob, mon âme navigue ou naufrage à vue. Les côtes d’Elée se sont estompées, mais l’image de Zénon me faisant un signe est restée gravée.
L’univers impermanent qui, un jour, m’engloutira pour jouer le jeu du principe de vie a pour nom Orbe des Spaces. Bloguer, débloguer ; bloquer, débloquer. De l’huile pour que ça glisse, de la colophane pour que ça râpe et accroche sur les violons de l’âme, comme dirait Léo Ferré qui n’était pas de bois, surtout côté langues. Sa gueule, du bois de fer, les lendemains de fiesta avec ses Copains de la Neuille où le rouquin donnait des couleurs à la mouise.
Bloguer pour m’apostropher, éventuellement apostropher, pas pour me faire apostropher, merci. Mais surtout pour laisser courir les mots, laisser s’ouvrir les images, laisser les marges, interlignes, retours chariot et blancs de tout poil leur faire des cernes de clarté sans lesquels on ne verrait rien.»
Les sandales collées empêchent de marcher. Se faire la belle pieds nus ? Tu crois que Mercure a envie de se brûler les ailes ? Mais nous, nous n’y laisserons qu’un morceau d’écorce de voûte plantaire, ce qui, si nous voulons nous offrir une balade du côté de l’autre –la céleste–, n’est pas plus grave qu’un petit rien sans importance.
À propos de quoi ?
Des propos que l’on peut tenir ? Et comment les tenir pour qu’ils ne s’échappent pas, car les propos qui s’évadent, font le mur et la sourde oreille si on les rappelle, reconnaissons que c’est monnaie courante. Les pierres qui roulent n’amassent pas mousse, certes, mais qu’en est-il de la monnaie qui roule, dévale les escaliers (ceux qui donnent pile sur la face nord abrupte du rocher où j’aurais très bien pu construire ma demeure) puis débaroulent en fond de vallée avant de se retrouver dans la première escarcelle venue ? Une laisse pour mes propos ? Je me vois d’ici, à défaut de le pouvoir faire d’un autre lieu à trop de lieues, laisse en main, trop courte. Une cage qui ne retiendrait que les mots crochus de propos avares ? Des fers aux pieds des vers d’où ne pourraient glisser que les I, à condition toutefois qu’ils soient droits comme des bâtons, lisses, sans jambage ni fioritures ? Les poser dans un calepin vite refermé ?Peine perdue. Les propos, ça filtre. Surtout les intimes, les secrets, les molletonnés duveteux, les acerbes épineux, les durs, les tendres mous gélatineux, les affûtés futés qui savent où piquer, les iconoclastes, plus tous les autres. Alors les chuchoter lentement dans le vent, les laisser se laisser porter de bouche à oreille, de la rue au trottoir, d’une rencontre à une rupture, puis d’un oreiller à un autre pour qu’ils me reviennent. Dans quel état ? C’est une autre histoire.
PIERRE VAISSIERE : 1,75 cm. Plasticien(Grand Prix des Métiers d’Art) il est connu pour ses créations de mobilier contemporain quelque peu déjanté et de bas-reliefs. Il est aussi l’auteur d’écrits « philosophiques » : Simples paroles, paroles de simple ; Voyage en Ergolide (qui n’est qu’une reprise du précédent qui s’efficlochait parfois ; Contes inventés d’ici, d’ailleurs, de toujours, de romans (La mémoire en cavale ; Calcination – à paraître d’une façon ou d’une autre). Parallèlement à ses propres créations, il prête main et assistance à la rédaction d’écrits (Mémoires des Quartiers Sud, Albertville, avec le Collectif Quartiers Sud, Martine Coppieret Georges Million[dessins], aux éditions Alzieu, 1996 ; La Lune en Plein Soleilde Max Terland ; Journal d’une anorexiqued’Annick Grabit, ainsi qu’à la réalisation de livres : maquette, mise en page, correction, jusqu’à la publication en tirage intimiste).
Ancien élève de l’Institut Théracie de Genève (Institut initié par Clotaire Rapaille), il a organisé et animé de nombreux séminaires, ainsi que des formations d’accompagnateurs.
Moins sérieux que grave, c’est un provocateur né que les rides de la maturité ont quelque peu calmé. Plein de considération pour Frank Farelly, il compte sur une prochaine vie pour travailler avec ce thérapeute d’une grande humanité et « pas piqué des hannetons ». Il en profitera pour mettre un bémol au peu de croyances qu’il a quant aux vies antérieures et, tant qu’à faire, postérieures.
mY nAme iS piErrE vAisSieRE
Ah, nom ti dieu !. J’suis énervé, nom ti dieu !
L’autre, là… qui m’a téléphoné t’t’à l’heure.
Vous êtes bien Pierre Vaissière ?
Oui que j’lui ai dit. Que me vaut ?
Vous avez une preuve ? qu’i m’a dit.
Ben c’te blaque, que j’lui ai répondu. Mes papiers d’identité et mon coup de pied dans l’cul que j’lui ai dit.
Tiens donc, qu’il a dit à son tour, parce que c’était le sien. Ça m’étonnerait, parce que Pierre Vaissière, y’en a qu’un, c’est moi, et c’est comme je vous le dis. Vos papiers, c’est des faux, et je sais de quoi je parle, parce que c’est pas la première fois qu’on me fait le coup.
Ah, nom ti dieu !
Le sang m’a fait qu’un tour de cochon. J’ai allumé la machine et regardé sur le Oueb une fois qu’elle a eu bien voulu s’allumer.
M’a bien fallu quèque temps avec mes doigts gourds à cause des patates, qui c’est qui va les arracher si j’y fais pas ?
V. Le V, ça va, l’est pas loin. Avec mes doigts gourds à cause des betteraves, comment qu’i disent le doigt pour le nez ? L’index. C’est ça, l’index, le V, il est toujours dessus, même que des fois ça me fait une tripotée de lignes pleines de V, qu’on dirait que j’ai labouré la page. Le A, c’est pas la même. À cause qu’i veut pas bouger, du jour où je m’avais fait un mal de chien à cause du clébard qui gueulait que je lui ai refilé une tripotée qu’il me l’a mordu, salopard de corniaud. Le A, c’est avec l’index que je vas le chercher. Tac. Le i, je m’en sors bien et je m’en sors doublement bien parce que je suis bourré de i. Après j’ai deux S. Fastoche une fois que mon index gauche a retrouvé le premier. Mais attention, faut que je veille au grain, parce que c’est pas rare que ça bloque avec le Z et le E, parce que je peux pas dire que j’ai des doigts de fée ni les mains d’un fainéant qui joue l’harmonium du dimanche et rien les autres jours.. Tac tac toc. Te dieu ! Saloperie de E.
VaiSsi. Le E, saloperie de lettre. Vient quand j’en veux point, vient pas quand j’en veux, ie le v’là qu’y se bloque avec le Z et le S et des fois avec le R.
«Tu devrais essayer avec des baguettes chinoises !». qu’il m’a dit, Dédé. Quel con! Comme si qu’il savait pas que la cuisine chinoise, j’y aime pas tant, qu’on sait même pas comment qu’elle est faite et qui c’est qui la fait et où. Leur gnôle, je dis pas, même si c’est quand même une drôle d’idée avec quoi c’est fait. Je nous vois qu’on amène de l’onqueul benz au Firmin. Firmin c’est le bouilleur de cru et lui, c’est la pomme, la pomme et rien d’autre ou à la limite un peu de poire, des fois aussi quelques prunes, mais des fois seulement. Les Chinois, c’est quand même futé, avec les petits godets où c’qu’il y a des femmes à poil quand t’es au fond. La mienne, de femme, c’est pas demain la veille que j’en aurai une. Des fois aussi, le sorbier, pour les amis, mais les amis, le bouilleur de cru, il est pas en reste.
VaiSsiErE. Pour le reste, y’a plus que le P qui pose problème, à cause comme pour le E, sauf que c’est pas du même côté. VaiSsiErE piErrE. Et vogue la galère, avec Gougueule, ça a pas le temps de perdre du temps à tourner les pages du téléphone qu’il faut déjà trouver la bonne lettre et qu’en plus t’as pas tout le pays.
Nom ti dieu ! C’est quoi c’te blague ?
C’en est bourré de tous les côtés des qu’ont le même nom.
Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière Pierre Vaissière
Ça sert à rien que je les mette tous, vu que c’est les mêmes, mais si je tapais plus vite, sûr que je les mettrais pour les compter. Ben dis donc, se sont pas ennuyés les aïeux !
C’est pas le tout, où c’est que je suis là-dedans que j’me demande. Moi, c’est lequel ?
Et l’autre, là qui m’a téléphoné, c’est lequel ?
I m’a rappelé. Pour s’excuser.
« J’mescuse » qu’i m’a dit. « C’est pourtant bien vrai que le seul P-i-e-r-e V-e-y-c-i-a-i-r-e-s c’est moi en personne et personne d’autre en personne » qu’il a rajouté en épelant.
Lui répondre quoi, sauf qu’un seul r à son prénom, ça faisait chiche, c’que j’lui ai dit.
« Chiche, peut-être, mais rare, et précieux. Ce qu’on peut pas dire des autres noms qui courent les rues. Moi, môssieur… »
Ses eScuses, quand on sait pas parler, i se les garde et i ferait mieux de se taire. Comme il continuait à déboiser ou décoiser, je sais plus, c’est moi qui l’ai fait taire. Je lui ai coupé la parole en raccrochant. Les combines pour se débarrasser des importuns précieux qui font les importants, je connais.
Après, des tas de pensées me sont venues, surtout une qui m’a fatigué encore plus que les autres. Les autres, je me rappelle plus, mais celle-là, elle me tarabuste.
Comment qu’i s’y est pris, j’en sais rien, mais ce que je sais, c’est que lui, il ést sûr d’être LUI, tandis que moi, non.
Après je m’ai demandé si j’aimerais moi aussi être lui et je me suis dit que ça ne devait pas être possible, à moins de connaître quelqu’un dans l’administration.
Et si c’est en bateau qu’il m’avait emmené ? Le bateau comme ça, j’aime pas tant, ça me donne le mal de mère.
Non, ça doit pas être ça. Le nom, c’est le père, avec le maire qui fait les papiers.
Je suis tout retourné sur le Oueb et j’ai tapé son nom comme il l’avait épelé. J’aurais préféré le taper lui, mais comme j’avais raccroché, c’était vain, plus possible et tout, ou plutôt rien.
L’a fallu que je m’applique. Avec mes doigts gourds, c’est pas si facile, même que l’autre jour, j’arrivais même plus à me sortir une cochonnerie du nez, mais c’est peut-être que je m’étais gouré de doigt, je sais plus. P-i-e-r-e V-e-y-c-i-a-i-r-e.
Puis j’ai attendu, attendu, attendu, attendu et encore attendu. Eh ben, y’a rien qu’est venu.
Alors j’me suis dit que c’est pas le tout d’être rare, précieux important et tout et d’être sûr d’être soi et pas d’être lui ou n’importe qui, mais le plus important, enfin moi c’est ce que je pense, c’est d’exister. Et l’autre, là, avec ses histoires, c’est même pas sûr qu’il existe. Il est même pas sur le Oueb.
M’enfin, tout ça ça m’a quand même un peu secoué, et je m’ai posé quelques questions sur le buffet de la cuisine.
Je m’interrogerai pour les réponses demain, que j’ai pensé. Puis je suis allé faire une ronflinette après avoir vidé un petit godet. La gnôle, c’est divin. C’est le curé qui y disait, et c’était pas n’importe qui, le curé. La gnôle de dieu effaçait les pêchés du monde, qu’il chantait en latin. Moi, le latin, j’y comprends pas grand chose, mais c’était sous-titré. Pas comme la gnôle ; elle devait faire du pas loin la vitesse maximum autorisée dans le patelin. Du 60 je crois. Comme on était pardonné d’avance, un pêché de plus ou de moins, alors le soixante c’était pour les gamins.
Je m’ai réveillé d’aplomb, droit comme le fil, que sans ça, les murs i seraient pas des masses droits ou, si qu’ils le seraient quand même, i pencheraient du côté qu’i vont tomber un jour.
« Portefeuille », j’ai entendu. Je dis entendu, mais ça venait de moi. Pas besoin d’être bien malin pour comprendre, du coup j’ai compris, mais attention, ça ne veut pas dire que je ne suis pas malin. On me la fait pas si facilement ! J’ai fait le lien, sans même réfléchir. Qui dit portefeuille dit pas obligatoirement sous : j’en ai pas, j’en ai jamais, j’en ai jamais eu. A dit quoi alors ? A dit papier. Papiers d’identité.
Ah nom ti dieu ! J’ai mis la main sur le portefeuille, ce qui n’a pas été le plus facile, vu que comme i y’a pas de sous dedans, je vois pas pourquoi j’aurais à savoir où c’qu’il est. Et où vous voulez qu’i soit ? Ben il était au cabinet, comme j’aurais dû m’en douter. Du coup j’en ai profité. Je me suis posé le popotin sur le siège et je l’ai ouvert. Le portefeuille. Et j’ai vu.
Ah, nom ti dieu !
D’abord les photos. Le père et la mère. Tout écornées. Les photos, pas la mère parce qu’elle en portait toujours, et des belles, qu’on disait que le père i s’gênait pas pour cueillir le guilledou même que c’était plutôt du mari volage que du marivaudage. Puis le permis de chasse que je croyais qu’on me l’avait retiré un jour que j’avais tiré sur une bécasse, qu’elle me faisait la vie, que je tirais pas assez qu’elle me reprochait. C’est le fusil que j’ai plus, tout rouillé. Et je tombe sur quoi ? Sur la facture bien assez grande pour ce que j’ai à faire et que je fais. Pis vu qu’la chasse l’est jamais ouverte, que j’te vide à moitié le seau d’eau..
C’est quoi ce machin ratatiné ? Un billet de banque. Ben ça, pour une surprise c’est une surprise. L’a plus cours, comme le gars dessus, une espèce de perruqué que si j’eus été coiffé comme ça, sûr que le père l’aurait pas aimé. Fera l’affaire pour finir le travail. Pis hop! un autre coup de flotte. Faut enrichir la terre, qu’i disait le père.
Le travail fini, je m’ai ramené au buffet pour vider le portefeuille. C’te foutoir !
Carte nationale d’identité. Je m’ai pas reconnu, mais alors pas du tout reconnu.
Je m’ai fixé dans le miroir du buffet et j’y ai rien vu qui ressemble à la photo. Et si c’était pas toi ? que j’lui ai dit, l’oeil pas bon, à l’autre qui me regardait.
J’suis pas un arnaque comme ceux qu’ont fait les grandes écoles, mais je suis moins couillon que d’autres qui le sont plus, alors ça m’a pas étonné qu’i m’réponde pas. Pis répondre quoi ? Après je m’ai dit, mais si ça se trouve lui non plus i s’reconnaît pas. Faut dire qu’on avait peut-être bien changé depuis le temps.
C’est après en y regardant de plus prés qu’j’y ai mieux vu. Quand je dis de plus prés, c’est façon de dire, parce que d’après le docteur je suis presbyte, et qu’on m’aurait fait les bras plus longs que ça m’aurait pas gêné, au contraire. J’ai lu. Et relu. Et encore re lu lu pour être bien sûr que j’avais bien lu.
Nom ti dieu ! que je me suis dit tout fort, c’est quoi c’te blague ?
Étant donné que je rêve assez souvent que je n’existe pas, répondre à cette interrogation, histoire de faire le point, devrait être aussi peu évident que de trouver une meule de foin dans le chas d’une aiguille. Même celle d’un sellier habitué à coudre les peaux de pachydermes, baleines et autres créatures d’envergure. Les ogres, géants et grands de ce monde ont, comme tout le monde, besoin de besaces, carniers et sacs à main pour leurs dulcinées. Un attaché case pour les moins grands, qui pourront toujours monter dessus pour se grandir (ce qui n’a rien à voir avec le fait de prendre de la hauteur).
En supposant que j’existe, ce dont je n’ai pour preuve que ce que j’en pense, autant dire peu, ça ne répond en rien à cette presque question si habilement posé par le titre.
Que je résume pour la cause par «Qui suis-je ? Qui es-tu ?»
Ben…
Pas facile et sans doute plus difficile que de dire qui on n’est pas. Je ne suis pas ci, je ne suis pas ça. Ci et ça quoi ?
On peut toujours, à défaut d’autre chose, se définir. Mais ce qui pourrait me définir ne risquerait-il pas de me finir ? Et dans ce cas, est-ce fini pour moi ou suis-je fini ? Est-ce la fin ou suis-je un être achevé ? Et est-ce si différent ?
Une tâche achevée est une tâche finie. Il n’y a plus à revenir dessus, et rien ne m’empêche de dire, voire de clamer haut et fort si je suis satisfait : «Et hop ! J’ai achevé le travail. Vous n’avez plus qu’à passer à la caisse». Le salaire de la peine.
Définir, ça limite bigrement, et se définir revient à peu de choses prés à mettre fin à ses jours. Dieu merci, quelqu’un d’autre peut se charger de la besogne et m’achever pour faire de moi un être achevé. Ce qui m’évitera la géhenne à laquelle je préfère, et de très loin, les plaisirs terrestres, car là où il y a de la géhenne…
Se définir ? On verra plus tard, si je n’ai rien trouvé d’autre pour savoir qui je suis et si les petis cochons ne m’ont pas mangé. Je laisse aux fonctionnaires qui les aiment les définitions avec leurs cousins-cousines catalogues, nomenclatures, relevés, inventaires et états. Un État il y en a déjà un, c’est bon.
Pourtant, et c’est chose connue, les définitions, pas de doute qu’elles font la lumière sur qui on est.
— Et vous faites quoi dans la vie ?
— Eh bien, je vis.
— Bien sûr, bien sûr, mais à part vivre, vous faites quoi ?
Qu’est-ce que tu veux que je réponde ?
— Vous êtes qui ? C’est quoi votre nom ?
Question judicieuse, et paf ! Oui, mon nom, mon prénom, ma date de naissance, mes maladies infantiles et mon sexe (des fois c’est pareil), mes parents, ma scolarité, mes formations (tu parles !, Et les déformations ?), mes diplômes, ma situation de famille et là où ça me gratte.
Mon nom. Un nom propre d’un tel commun qu’il le devient. Nom propre, façon de parler, parce que les ancêtres, il a fallu qu’ils en fassent des cochonneries pour arriver à ce résultat.
Mon nom ! Il ne pouvait pas trouver mieux pour m’éclairer sur qui je suis…
— Mon métier ! Avec ça plus le reste, il saura qui je suis, et moi aussi.
Le scanner, ça irait si je l’avais demandé, mais ça n’est pas le cas. Sûr qu’après, il va dresser son diagnostic. Le temps qu’il jette un oeil dans ses catalogues, nomenclatures, relevés, et j’en passe.
Il a encore fallu que je tombe sur un radiologue.
J’ai regretté un instant de ne pas en être un. Je serais qui si j’étais radiologue ? me suis-je demandé en me grattant la tête dans une gestuelle suffisamment explicite pour bien lui montrer où c’que c’est que ça me gratte.
J’ai tourné sept fois ma langue dans la bouche avant de répondre par un silence éloquent puis de tourner l’étalon dans le bon sens, c’est à dire face au vent pour qu’il me recoiffe lors de cette course qui serait longue et hasardeuse, je n’en doutais pas. J’enfourchai l’animal, m’allumai une Lucky Strike et nous partîmes au pas.
Ne serais-je qu’une errance ? m’interrogeai-je un instant en rejetant d’un geste délicat un pan de mon écharpe de soie blanche par dessus l’épaule, très poète philosophe.
Serais-je gourance ? me consultai-je en me rendant compte de l’aspect paradoxal de ma question, ce qui ne m’empêcha pas de m’en poser une troisième plus perverse ; «Et si le radiologue avait raison?»
Ou ne serais-je pas tout bonnement dans un état de rancitude avancée ? m’enquis-je auprès d’un moi-même à deux doigts d’un shunt neuronal.
Un hénissement ricaneur me fit me resaisir et, dans une fulgurance qui, contrairement à ce qu’on pourrait en attendre, me rendit la vue et la raison, je compris toute l’inanité de mon questionnement.
Je décidai derechef de ne plus m’importuner de la sorte.
Cependant je savais que, tapi dans l’ombre d’un méandre du cerveau, la question n’avait pas dit son dernier mot.
.
On est parti bras d’sus bras d’sous dans l’quartier où y’a des vitrines
Remplies de présences féminines qu’on veut s’payer quand on est saoul…
Mon cheval a toujours aimé Ostende, moi sans plus, mais je lui devais bien ça. Quand il voit les chevaux de la mer foncer la tête la première, il les rejoint pour une virée au casino. À chaque fois c’est le même cirque: le portier pousse les lourds battants de verre avant de se faire la paire, sans doute à la toujours même table de poker où il sait qu’il perdra pour que chacun reste bien à sa place, surtout lui. Déferlante d’écume, les chevaux se jettent sur les portes, y donnent de grands coups de tête, s’y fracassent les crinières, reculent, y font front, trépignent, raclent le sable mêlé de galets mais, défaits et fourbus, les voilà qui reprennent le large, profitant de la marée. Cette fois-ci mon étalon a mis les voiles. Mauvais nageur, je le laisse rejoindre la troupe où l’attend quelque belle cavale.
Les lumières du casino se sont éteintes, la grève est déserte. Je la longe, y ramasse à grandes brassées des crinières.
J’en déposerai une gerbe sur le tombe de Léo.
Superman
C’est décidé : dans ma prochaine vie je serai un superman. Et si la place n’est pas déjà prise, je serai même Superman. Superman en personne. J’avais pensé un temps à Spiderman, mais je n’aime pas trop les machins gluants et je ne ne me vois pas déguster moucherons, moustiques, voire mes congénères. Sans parler de l’obscurité qui me donne des boutons et d’où, quel que soit le mouvement qu’on y imprime de l’index, aucun contact ni lumière ne se font. Séduit un temps par Catwoman, j’ai laissé tomber : j’aurais assez aimé me balader le long des chenaux et gimper sur les toits, mais diététiquement ça ne me convient pas. Haltèroman ? Non plus. Vous avez vu leur tenue ridicule ? Elephantman, non merci ; on a vu le résultat, terrible.
Avant Superman, j’avais envisagé de me réincarner en artiste. J’aurais bien voulu être un artiste pour pouvoir faire mon numéro, mais quel numéro ? Et le faire toute ma vie d’artiste durant ?
Moine bouddhiste m’avait intéressé à une époque, mais pas n’mporte lequel, et ça ne m’étonnerait pas que Dalaï-Lama soit très demandé. Alors j’ai laissé tomber.
Dictateur sanguinaire ça m’a, heureusement, seulement éffleuré. J’aif ait un pas de côté juste à temps, ouf ! et m’en suis sorti. De toute façon les dictateurs finissent toujours mal, ceux qui les croisent aussi. Et pas un instant je ne m’imagine me croiser avec un dictateur. Même pas croiser le fer, avec ses sbires et nervis toujours prompts à perdre leur calme, merci !
Comme j’adore les femmes, j’ai pensé à Hétéroman, mais on m’a dit que c’était pris et que ça n’était pas partiulièrement apprécié. Ce que je comprends un peu dans un monde où il est presque de bon ton d’avouer ses penchants pour les personnes du même sexe que soi. Étheromane, j’ai laissé tomber pour des raisons que je n’ai pas à raconter ici.
En tout état de cause, ma décision n’est pas encore arrêtée. J’aurais donc le loisir d’y revenir.
J’ai rêvé que j’étais un rêve. Un truc assez compliqué que je n’ai pas bien compris, mais ça n’était pas désagréable. Et me voilà à m’interroger : et si je me réincarnais en rêve ? J’ai longuement réfléchi la nuit suivante, lors d’un rêve de réflexion où il y avait une grande glace au tain mité que m’avait offert un papy devenu aveugle. «Regarde-toi ! Non mais, regarde-toi !» m’avait-il dt en me dévisageant. Ce qu’il voulait dire exactement, je n’en avais pas eu une once d’idée, mais comme il m’avait offert le miroir je l’avais accroché dans ma buanderie, lieu idéal pour faire de l’introspection, laver mon linge sale et méditer pendant que la machine à laver ronronne ou s’excite. Au matin, une fois bien réveillé, j’avais pris conscience du danger que se réincarner en rêve présentait, car tout bien réfléchi, qu’est-ce qui me disait que je ne serais pas réincarné dans un rêve de réflexion ? Sueurs froides. Passer sa vie à réfléchir et à renvoyer ses réflexions sur des idiots qui ne pensent qu’à regarder si une nouvelle ride leur est venue ou, pire, qui s’enlèvent des comédons ou se percent des boutons infectés bourrés d’une sanie qu’une éruption provoquée ferait exploser et dont je recevrais les scories ? Très peu pour moi.
Certes je pourrais aussi me réincarner sous la forme d’un rêve plaisant, mais je ne veux courir le risque.
Un objet ! Un objet ça n’est pas bien compliqué et ça ne passe pas son temps à réfléchir, à part un miroir. Mais un miroir ne réfléchit pas non plus en permanence. La nuit, et pour peu que les lumières fassent relâche, il ne fait rien de rien à part, peut-être attendre que passe le temps et vienne la fraîcheur matinale de l’aube où une rosée légère viendra le carresser.
J’ai dressé la liste des objets qui pourraient convenir. Elle avait du mal à tenir, alors je l’ai punaisée. Ce qui m’a fait dire qu’être une liste nétait pas sans risques, comme celui de se faire punaiser. Les punaises me répugnent, qu’elles soient des bois ou des lits. Ne parlons pas des punaises de lits en bois, ce sont les pires.
J’avais le choix d’une liste soit bêtement alphabétique, soit en relation avec les grands stades de la vie (hormis ceux olympiques où le battage qu’on y fait aurait vite fait de m’énerver), soit en relation avec le type d’usage qu’on en fait ou qu’on n’en fait pas s’ils ne servent à rien, soit encore en fonction de leur valeur marchande, et soit enfin en fonction de leur valeur affective. J’optai pour ce dernier critère, le seul qui ne me prendrait pas toute une vie pour faire ma liste.
C’est ainsi que j’obtins une première liste que, parce qu’une chatte n’y aurait pas retrouvé ses petits, il me fallut trier. Mais dans quel ordre m’interrogeai-je ? Chronologique, alphabétique, par usage, par quoi ?
Après des journées laborieuses d’un travail tout aussi laborieux, ma liste fut établie, que je reproduis en infime partie ci-dessous :
· 1. superman (jouet, figurine)
· 2.
· 3.
· 4.
· 5.
· 6. etc.
très loin derrière venaient :
· selle de vélo (celle de mon vélo d’enfant, à 4 roues, avec lequel j’avais tant souffert sur les chemins avec Paulette, ma mère) ;
· maillot de bain en laine, (que m’avait tricoté notre concierge pour mes 14 ans et que je n’avaisamais porté, comme on peut l’imaginer) ;
· livret scolaire de 6e (j’avais eu un prix de consolation en récitation pour le poème d ‘un parnassien dont j’ai oublié le nom, mais que je pourrais réciter par coeur, avec preuve à l’appui en me téléphonant au 36 24 36 ; demander le poste 24 )…
et tout en bas (en fait tout seul en haut de la dernière des dizaines de pages que comportait la liste) :
Oui, vous avez bien lu.
Alors comprenez mon désarroi.
Combien de parcours ?
Parcours banal
Parcours tranquille
Parcours d’un coureur au souffle court
Qu’on soit d’un côté ou de l’autre du grillage, il est toujours là.
Bref parcours
Mon parcours le plus court a aussi été le plus bref. Quand je dis bref, c’est parce que mon exitence, dans ce parcours-ci a duré le temps qu’il m’a fallu pour rendre mon dernier souffle qui était aussi le premier.
Je m’explique : je suis quasiment mort avant d’être né. Appeler naissance l’instant où on braille parce qu’on n’y voit goutte et qu’on n’a pas encore eu le loisir d’apprendre le braille, ça me laisse rêveur.
Dès que je me serai réincarné, je parlerai de mes autres parcours.
Combien de parcours ?
Un seul ? C’est à voir, et on le verra. Plus tard ou peut-être, ce qui, au final, revient quasi au même.
Une seule route à la fois. Ne vois pas comment faire autrement et ça n’est pas faute d’avoir essayé, ce qui m’a fait essuyer quelques plâtres, et encore pas toujours, mais il y a pire que le plâtre.
Parcours, je l’écris savec une S ou un, c’est comme vous voulez.
Un S (ou une), parce que les parcours, ça n’est pas ce qui manque à mon palmarès. Je mets une S à palmarès, comme pour parcours, pour la bonne raison que les palmarès, ça n’est pas ce qui manque à mon palmarès.
Parcours banal
Qu’entend-on parcourir, par parcourir et par courir ? Au berceau de mon humanité, alors que Dieu croyait encore en moi, je pensais courir le monde, chaîne d’arpenteur en main, pour le mesurer. Je voulais m’y mesurer. Tâche bien ambitieuse et vouée à l’échec. Quelques mois plus tard, et pour la seule raison de vouloir me dégourdir les jambes, je me suis mis en tête de vouloir explorer l’univers. Pas seulement le mien qui se résumait à une aire de quelques mètres carrés (ronde et grillagée de fils de cotons pas faciles à saccager avec mes petits doigts gourds et boudinés de bébé), mais l’univers tout entier. Ma première frontière finalement franchie, et après inspection des lieux, j’eus la douloureuse surprise de me rendre compte qu’une deuxième frontière se dressait toujours derrière la première, que la deuxième en précédait une troisième, et ainsi de suite, à l’infini. Bref, Quelqu’un avait versé au sol un énorme pot de colle néoprène.
Très beaucoup bien plus tard, alors que je m’étais habitué à un engluage finalement pas si inconfortable qu’il n’y paraît (Aux » Alors, ça colle ? » des salutations, je répondais invariablement » Ça colle super, et toi ? « ), ç’avait été la libération. Un cordonnier, ami de lui-même et par conséquent des autres, donc de moi, avait lâché le morceau : SOLVANT. Révélation certes sibylline, mais dont je sus tirer parti après avoir feuilleté le Chasseur Français et être tombé sur un article fort à-propos qui avait eu la chance d’échapper à la main impatiente et rageuse du dernier diarrhéique à avoir utilisé les vécés.
C’est ainsi que, mes sandales enfin libérées de leurs gluantes entraves, je pus courir le monde. Depuis je n’ai cessé de le parcourir, prospectant tous azimuts pour tenter de glaner de quoi vivre. Certains nomment cela « glander », ce qui n’est pas surprenant lorsqu’on sait que l’homme et le cochon ne sont pas plus différents que ne le sont blanc bonnet et bonnet blanc.
Mon parcours est un parcours simple et bête comme chou, sans doute pas plus hétéroclite, composite, hétérogène, et disparate que n’est celui de l’humanité. Instable ? Ben tiens ! Laissons la stabilité à l’inanimé.
Enfant j’étais poète et rêveur. Aujourd’hui aussi. Avec l’ajout de quelques cordes à mon arc. Penser tout de même à ne pas oublier de fabriquer les flèches.
J’ai pris de l’âge, mais à mes yeux d’enfant je ne suis pas vieux. A mes yeux de vieux, je le suis. Et n’en ai cure. J’ai l’âge du monde, je veux dire du mien, mais n’en ai pas toute sa mémoire, et pourtant…
La première fois où je me suis vraiment mis à courir le monde, c’était sabre au clair. Dans les rues usées d’une ville usée dépassée par son passé bourbon révolu. Deux glaçons, merci, ça ira. Le sabre, plutôt un fleuret. Sept ans, mon deuxième cours d’escrime. Dans les rues on s’était couru après avec les autres enfants, on avait engagé le combat. Quel bonheur ! Attaque ou esquive, t’enlève le ou, tu mets un et, sinon tu meurs.
Trois ans passés à faire de l’escrime, le reste à s’escrimer, jusqu’à il n’y a pas si longtemps.
On s’escrime à courir.
J’adorais mes maîtresses d’école, le peu que j’ai eues. Je crois bien qu’elles m’aimaient assez pour que je le croie.
J’ai toujours aimé mes maîtresses et je crois bien qu’elles m’aimaient. Je suis sûr qu’elles m’ont aimé. À un moment donné, donc gratuit, comme le temps qui se déroule.
Puis ce qu’on appelle la vie : éducation, école, amitié et amour avec plus ou moins de s, mariage puis union, enfants, d’abord au pluriel puis au singulier, le côté pile de la vie, quoi ! avec ses désunions ou ruptures. Des retours-chariot qui font gling et déglinguent. Et avec les réparations –faut voir c’que ça coûte–, il va en falloir des sous !
Après il y a eu le glandouillage. Ce temps passé à glaner glander pour la gagner, cette vie. Gagner sa vie ! Parfois le même enfer que pour gagner son paradis, avec toutefois plus de chances d’y parvenir. Mais que gagne-t-on à gagner sa vie puisqu’on finit par la perdre ? La vie elle-même n’est pas l’enfer, pas plus qu’elle n’est le paradis, mais rien n’empêche de rêver, ni de cauchemarder. J’ai choisi les plages de sable tiède, les forêts d’arbres tendus vers là-haut, les rivières où on peut laisser pisser les yeux lorsque c’est un petit peu dur et où on se laisse aller à jouer le bois flotté lorsqu’on se sent léger ou… vide.
J’aime les autres, pas tous, car encore faut-il qu’ils soient aimables. Je ne parle pas de mérite.
Je les aime d’autant plus que j’en vis, comme ils vivent de moi. Le vieux que je deviens depuis ma mise au monde n’a jamais su être envieux. Ce qui, peut-être, explique cette faculté à papillonner sur les glands.
J’ai eu le cuir à fleur de peau, ce qui m’a amené à décimer quelques troupeaux de bovins. La peau des hommes est trop lâche pour y découper de solides renes, et machin sait qu’il en faut des costaudes pour conduire le char à boeufs dans lequel nous voguons de tas de fumier en sources claires. Parce que la lucidité manque de limpidité nous pensons avancer alors que nous sommes embourbés. J’aurais fait moins de dégât dans le bétail si j’avais plutôt oeuvré avec des peaux de sauc’.
Parcours tranquille
J’ai fini par naître à peu près normalement. L’installation dans ma nouvelle vie s’est passée convenablement, entouré des miens, d’affection puis, plus tard, du filet de mon parc (inutile car je n’ai même jamais pensé à m’échapper) où j’étais la principale distraction, sans doute parce que la seule qui vaille la peine. Et ce n’est pas la peine qui a manqué à ma pauvre mère pour m’élever à la hauteur qui me permettra d’aller puiser mon dû dans les pots de confiture. Les enfants, c’est connu, ont ce droit inaliénable à la gourmandise, y compris au Sahel où les jours de fête le sable et les cailloux de l’ordinaire sont remplacés par la confiture de racines sans sucre ajouté ce qui, diététiquement parlant, est meilleur pour la santé.
Ainsi bien nourri énergétiquement j’ai continué à grandir, mais pas suffisamment pour atteindre les classes supérieures à l’école. Je fus néanmoins un bon élève, mes parents m’ayant enseigné la bonté, la générosité plus la naïveté qui me faciliteraent la tâche lorsque, devenu adulte, il me faudrait courber le dos.
Je suis devenu souple, acceptant l’inacceptable, respectant l’irrespectable et infoutu de rager contre autre chose qu’une rage de dents. Que je marche du pied droit dans une déjection canine, qu’un quidam me bouscule sous le porche d’une église (je suis pratiquant, bien entendu), qu’un organisme me réclame un dû injustifié, qu’on me passe devant dans la file d’attente du supermarché et que le même supermarché me refile une andouillette en décomposition mais habilement maquillée datant de la guerre de Troie… ne me fait ni râler, ni maugréer, ni me redresser, comme on peut l’imaginer.
Mon parcours étant celui d’un pleutre, je me suis entouré de froussards, de couards et d’une ribamberlle d’hypocrites bien pensants. J’ai gravi les échelons, sans grande aisance à cause de mon dos courbé, celui-ci m’a yant toutefois permis d’éviter essuyages de plâtre et autres retombées que ceux qui s’engagent reçoivent inévitablement.
J’ai fait le même travail que mon père, me suis marié avec une femme (assez laide, ma foi) qui ressemble à ma mère, ai eu huit enfants qui ne m’ont posé aucun problème. Je suis fier de mon aîné et du cadet qui suivent mes traces. Les mercredis après midi je les accompagne chez le kinésithérapeute pour une séance de gymnastique corrective.
Je n’ai pas peur de mourir, sachant que j’ai ma place au Paradis et que ma succession est assurée.
Parcours d’un coureur au souffle court
J’ai trop couru tout au long du parcours qui m’a mené de là où j’en étais à là où j’en suis, et je suis essoufflé. C’est ma foi vrai que j’ai toujours eu le souffle court, mais à prendre mes jambes à mon cou, je pensais l’allonger. Erreur. Je n’ai fait que me fabriquer des crampes responsables d’entorses et autres vacheries de parcours qui m’en ont fait voir de toutes les couleurs, surtout du bleu. J’en suis couvert.
J’ai tout fait pour cesser d’étouffer au moindre effort. J’avais mis ce handicap sur le compte de ma cage thoracique insuffisamment développée (suite à une maladie d’amours infantiles, mon coeur avait pris tant de place qu’il n’avait laissé qu’une portion congrue aux poumons) jusqu’au jour où, alors que j’avais voulu shooter dans un ballon que des gamins avaient envoyé valdinguer dans mes pattes, au risque de me faire tomber, il m’avait été impossible de donner le moindre coup de pied dedans : mes jambes étaient trop courtes pour pouvoir l’atteindre.
Honte. Prisonnier du stade où j’étais alors, les jeux de ballon de rues ayant été interdits après la dernière élection de je ne sais quel élu, le besoin irrépressible de fuir stade, avanie et infamie m’avaient donné des ailes. En pensée seulement, hélas ! comme je m’en rendis compte lorsque je me mis à vouloir franchir le grillage afin de m’affranchir. Echec.
Coincé derrière ce qui ressemblait à une cage de tir où je me sentais plus vulnérable qu’un pigeon d’argile, je mis à profit mes longues heures d’incarcération pour m’endurcir, corps et âme. La municipalité faisant bien les choses quant à l’entretien des pelouses et des latrines, je pus me nourrir et m’abreuver en regrettant cependant le manque de variété dans l’ordinaire qui me fournit une raison supplémentaire pour m’évader.
Vint enfin le moment où, solide sur mes jambes que des exercices d’étirement avaient fini par allonger, je décidai de mon élargissement. Décision prise alors qu’accroché par les pieds à la barre latérale de la cage, l’ombre portée de mon corps venait d’atteindre la graduation supérieure de l’échelle de mesure que j’avais tracée à la craie sur la pelouse pelée. Cette séance d’entraînement, que j’ignorais en cet instant devoir être la dernière, m’avait fait gagner les tout derniers millimètres de longueur de jambe qui, d’après mes calculs, me permettraient de m’échapper. Pour mettre toutes les chances de mon côté, une parfaite aisance et un poids réduit me semblant indispensables, je me dénudai et, sans plus attendre, m’attelai à franchir le grillage, ce que je réussis, me promettant dès que j’aurai papier et crayon sous la main de m’établir un diplôme d’évasion.
Je n’aurais jamais dû me retourner.
Qu’on soit d’un côté ou de l’autre du grillage, il est toujours là.
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